Ministre des Droits de l’homme, de la Formation à la Citoyenneté, chargé des relations avec les Institutions de la République, Christian Trimua, de passage à Paris, fait ici le tour d’horizon des questions d’importance pour le Togo, de l’économie à la montée en puissance des femmes au gouvernement, ou encore la sécurisation du pays contre le terrorisme.
Un entretien conduit par Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris
@PresseAfrica
Un an après la réélection du Président Faure Gnassingbé pour un nouveau mandat de cinq ans, comment se porte l’économie togolaise ?
Christian Trimua – Malheureusement cette année a été impactée par la pandémie du coronavirus que le monde entier subit actuellement. En dépit des contraintes et défis qu’impose ce nouveau contexte sanitaire, l’économie du Togo se porte plutôt bien. Naturellement, nous avons subi ses contrechocs sur les activités, sur l’investissement, sur la mobilisation des crédits publics dans l’investissement, mais le bilan est plutôt positif.
Où en sont les principales réformes et notamment le PND (Plan National de Développement) lancé le 4 mars 2019, il y a tout juste deux ans ?
Christian Trimua – Le Plan National de Développement a subi lui aussi ce contrechoc et nous avons dû redéfinir et nous concentrer sur trois axes essentiels.
Le premier, c’est l’inclusion et l’harmonie sociale ; le deuxième est la création d’emplois et le troisième, la modernisation du pays et de ses infrastructures. Et qui dit infrastructures dit investissements sur le port, l’aéroport et l’ensemble des structures routières et ferroviaires du Togo. Le nouveau gouvernement de Mme Victoire Tomegah Dogbé est axé sur ces trois volets essentiellement économiques et sociaux du PND.
Le Conseil des ministres du 3 mars dernier a fait le point sur la Plateforme industrielle d’Adétikopé (PIA), à une trentaine de kilomètres de Lomé. Celle-ci est-elle déjà opérationnelle ?
Christian Trimua – C’est une plateforme très intéressante parce qu’elle met en place un microsystème économique qui va développer des infrastructures et des services sur place. Elle va permettre aux investisseurs de trouver un terrain disponible pour installer des entreprises et des usines immédiatement, sans avoir besoin de rechercher du foncier et en bénéficiant d’un guichet unique.
D’un point de vue administratif et de gestion des espaces, la Plateforme est un modèle de PPP (Partenariat Public Privé) que le Togo est en train de monter. Le Togo est, en effet, devenu très attractif à tous les modèles de PPP. C’est pour cela que nous venons de rencontrer à Paris M. Marc Teyssier d’Orfeuil, directeur de Com’Publics et créateur des Clubs PPP Afrique, déjà très actifs au Mali, au Maroc et en Mauritanie.
Le premier axe du PND a d’ailleurs prévu de faire de Lomé un « hub » logistique et un Centre d’affaires de premier ordre. C’est ainsi l’attractivité du pays qui est mise en avant, puisque le Togo sert aussi de trait d’union entre la mer – avec 50 km de côte – et les pays de l’hinterland, avec la création de ports secs pour pouvoir desservir des pays comme le Niger, le Burkina Faso, le Mali et quelques autres…
« Le Togo ne doit pas relâcher ses efforts face au terrorisme et à l’islamisme »
La sécurité est toujours un dossier d’actualité. Avez-vous une « recette togolaise » qui fait du Togo une exception, un pays encore épargné par le terrorisme, dans un environnement de plus en plus hostile et travaillé par des mouvements djihadistes venus du Sahel ?
Christian Trimua – Le Togo a fait de la sécurité l’une de ses grandes priorités. Maintenir la paix et la sécurité est important, non seulement pour les Togolais, mais au bénéfice également des autres pays de la sous-région. C’est un couloir qu’il nous faut sécuriser en permanence.
Le Togo participe également à toutes les opérations extérieures avec les pays voisins comme le Burkina et le Mali, où nous avons actuellement un contingent au sein de la Minusma qui vient de subir des attaques et a déploré plusieurs victimes.
Cela veut dire que la pression terroriste sur le Togo existe, même si notre territoire a l’avantage de ne pas avoir été touché jusqu’à présent. Mais il ne nous faut pas relâcher nos efforts et notre vigilance en ce domaine. C’est pourquoi le Togo a développé, avec les États-Unis et la France notamment, tout un réseau de renseignement qui permet de mieux connaître et d’anticiper la menace pour y faire face.
Et vous venez de vous doter récemment d’une loi de programmation militaire…
Christian Trimua – Oui, et c’est une première ! Adoptée en octobre 2020, cette LPM met en place le déploiement de moyens dédiés pour lutter contre l’insécurité en matière de ressources humaines, d’équipement et de formation sur les cinq prochaines années. Avec un volet qui est également très important dans le cadre précisément de la lutte contre l’intégrisme : l’amélioration des relations civilo-militaires.
Sur un chantier comme celui-ci, la contribution de la population au renseignement, à la connaissance du terrain et à la transmission de l’information sont primordiales.
Nous travaillons à ce que nos compatriotes puissent nous aider à mener à bien cette mission pour avoir un meilleur maillage et quadrillage de notre pays et permettre ainsi à nos forces d’avoir les éléments d’information nécessaires pour anticiper les menaces et la capacité d’y faire face sur le terrain.
Le Togo – Dieu merci ! – reste encore épargné par ces attaques, mais la menace se rapproche et elle est permanente. Nous éveillons la conscience de nos compatriotes sur la nécessité d’une vigilance permanente dans nos villes et nos villages. Car un terroriste n’a jamais écrit sur son front le mot « terroriste » et essaie au contraire de se fondre dans la masse.
« La promotion de la femme
est importante au Togo »
Le gouvernement togolais est dirigé depuis le 28 septembre dernier par une femme, Mme Victoire Tomegah Dogbé. C’est un bel affichage pour le Togo, mais qu’est-ce qui a vraiment changé à Lomé ?
Christian Trimua – Un gouvernement dirigé par une femme, c’est une première dans notre histoire. La promotion de la femme est importante au Togo et plusieurs d’entre elles occupent des postes très importants.
Comme Mme Yawa Djigbodi Tségan, élue Présidente de l’Assemblée nationale en janvier 2019, Mme Sandra Ablamba Johnson, Secrétaire générale de la Présidence, Mme Essozimma Marguerite Gnakadé, ministre des Armées. Et notre nouveau gouvernement, qui a posé les bases de l’essor économique du Togo en cent jours, compte plus de 30 % de femmes : 12 femmes sur 32 ministres.
La plus-value que Mme Dogbé apporte à la gouvernance du Togo vient de son profil personnel, car c’est une ancienne du PNUD des Nations Unies, et très attachée aux questions sociales et économiques. Cela correspond parfaitement à l’agenda du gouvernement donnant la priorité au développement économique et social.
Nous travaillons aussi sur les questions énergétiques. Le Président vient ainsi de visiter la centrale de plus de 300 MW qui est en développement à Blitta, à une centaine de kilomètres de la capitale, ainsi que la centrale thermique de Kékéli. Nous allons progressivement vers l’autonomisation énergétique du pays.
Que peut faire de plus Madame le Premier ministre pour développer l’attractivité économique du Togo ?
Christian Trimua – Aujourd’hui, en effet, le Togo se positionne en termes d’attractivité de l’investissement privé, et Madame le Premier ministre travaille énormément sur les questions de facilitation de l’investissement dans le pays.
Nous avons adopté un Code de l’investissement il n’y a pas longtemps et nous allons adopter maintenant un nouveau Code du travail qui renforce les droits sociaux des travailleurs et des syndicalistes, mais qui innove dans les types de contrats existants et la conduite des relations sociales au sein des entreprises, de façon à permettre à de nouveaux investisseurs de trouver localement une main-d’œuvre disponible et qui soit en même temps protégée.
Parallèlement, nous avançons aussi sur la généralisation de l’Assurance maladie pour tous les Togolais. Nous avions jusqu’à présent un système expérimenté sur les fonctionnaires et les salariés du secteur formel, mais aujourd’hui ce système est en train d’être étendu à l’ensemble de la population togolaise, dont une grande partie est dans le monde rural ou l’informel.
Où en êtes-vous avec l’organisation prévue d’élections régionales – ce qui sera une première ?
Christian Trimua – Elles sont prévues au second semestre de cette année, si tout va bien, en raison du contexte sanitaire lié à la Covid-19. Initialement, nous pensions les organiser au mois de juin, mais elles peuvent être reportées au mois de septembre.
Ces élections régionales sont une première au Togo et viennent compléter le processus de régionalisation lancé en 2019 avec les élections des conseillers municipaux et des maires. On aura ainsi bouclé l’architecture de la décentralisation togolaise avec ces élections régionales qui permettent au Togo d’avoir une vraie régionalisation, notamment sur les fonctions économiques, ce qui est très intéressant pour le développement de nos cinq régions.
« Face au coronavirus, notre
pays s’en sort plutôt mieux »
Quelle est votre politique face à la pandémie du coronavirus ?
Christian Trimua – À quelque chose, malheur est bon ! La Covid-19 n’a pas que du mauvais, elle nous a servi aussi de levier pour l’amélioration du plateau technique de nos centres hospitaliers. Nous avons construit de nouveaux hôpitaux, nous les avons équipés ces hôpitaux et nous sommes en train de former du personnel adapté. Cela rentrait dans un programme d’amélioration du secteur de la Santé qui préexistait, mais dont la Covid a accéléré le processus.
Peut-on faire un bilan précis de l’épidémie au Togo ?
Christian Trimua – Quand on le compare aux pays voisins de la sous-région, de l’UMEOA ou de la CEDEAO, le Togo s’en sort plutôt mieux et est très bien classé pour sa stratégie.
En Afrique, le Togo a été classé 2e meilleur pays pour sa stratégie de riposte anti-Covid, derrière le Rwanda. Le bilan chiffré depuis un an est de 7 323 cas de contamination confirmés au total, avec 88 décès et 6 069 personnes guéries. À ce jour, il y a encore 1 166 cas actifs et en soins intensifs dans les hôpitaux. Par rapport à notre population globale de 8 millions d’habitants, les cas de Covid-19 représentent un ratio acceptable.
Nous avons mis en place par ailleurs un dispositif pour le vaccin. Notre stratégie est d’atteindre, dans une première phase, une couverture vaccinale de 80 % de la population d’ici à la fin de l’année. Et nous participons à l’initiative Covax, développée par l’OMS en faveur des pays en voie de développement, notamment en Afrique. Cette initiative de solidarité permet d’apporter une contribution de 20 % aux doses de vaccin par pays. Et le Togo ajoute à ces 20 % une prise en charge – sur fonds propres – de 60 % pour atteindre les 80 % de notre cible initiale.
La priorité, ce sont d’abord les médecins, les soignants et l’ensemble du corps médical qui sont en première ligne dans la bataille, puis les populations fragiles dont l’exposition est à risque.
Une élection présidentielle est prévue au Bénin voisin, le 11 avril prochain, et l’une des candidates, Mme Reckya Madougou, vient d’être arrêtée sous l’accusation d’« association de malfaiteurs » et de « terrorisme ». Or, Mme Madougou n’était-elle pas encore tout récemment, à Lomé, conseillère à la Présidence de la République ?
Christian Trimua – Cette question défraie la chronique sur les réseaux sociaux. Mme Reckya Madougou a effectivement été conseillère du Président de la République togolaise et a apporté une grande contribution au développement de l’inclusion financière au Togo, comme beaucoup d’autres Africains et experts étrangers qui contribuent par leur expertise à l’avancement de notre pays. Le Togo a apprécié cette contribution importante.
Il se trouve que Mme Madougou est de nationalité béninoise.
Rentrée au Bénin, elle participe activement à la vie politique et à une élection présidentielle dans son pays, où elle a été ministre de la Justice. Les questions électorales étant des questions internes au Bénin, le Togo ne saurait s’ingérer dans les préoccupations de politique intérieure d’un pays voisin et ami. Vous me permettrez donc de ne pas commenter davantage une question qui relève de la politique intérieure du Bénin, avec lequel nous nous devons de garder de nos bonnes relations diplomatiques et amicales.
Dont acte !
Source : AfricaPresse.Paris